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Il fallait un « cygne noir », ce pourrait être FTX !

La veille du scrutin des midterms, le Dow Jones venait de se hisser vers 33 355 points. Un joli score et qui va combler d’aise les « permabulls », puisque l’indice engrange très exactement 16% depuis son cours d’ouverture du 13 octobre à 28 755.

Outre les presque 5 000 points repris depuis le plancher des 28 730 du 30 septembre, le Dow Jones a réalisé en octobre sa meilleure performance mensuelle… de l’histoire avec un gain de 14%.

Et il réduit sa perte sur l’année 2022 à 8,5%, dans un contexte qui ne saurait miner le moral de ceux qui n’ont connu que le soutien sans faille des banques centrales aux indices boursiers depuis mars 2009 :

  1. crise sanitaire (qui repart de plus belle en Chine) ;
  2. crise des dettes (et krach obligataire) ;
  3. crise économique ;
  4. crise géopolitique (Ukraine/Russie, bientôt Iran/Arabie ?) ;
  5. crise énergétique (le modèle européen se désintègre) ;
  6. crise inflationniste ;
  7. crise de liquidités (qui deviennent hors de prix) ;
  8. crise immobilière (elle présente tous les symptômes d’un krach aux US)
  9. crise des approvisionnements (effet « zéro Covid ») ;
  10. crise sino-américaine (embargo US sur les composants électroniques haute performance à destination de la Chine, très mal vécu par Pékin) ;

En somme, dix crises majeures simultanées qui ne pèsent même pas 1% chacune sur le Dow Jones, ou le CAC 40 remonté à 6 440 (soit 9,9% perdus depuis le 1er janvier) !

Alors, bien sûr, cela doit répondre à une explication logique. Les actions montent quand les taux se détendent, cela fonctionne ainsi depuis mars 2009, et à plus forte raison depuis mars 2020.

Et bien non, raté : les T-Bonds US à « 10 ans » affichaient un rendement de 3,78% au 30 septembre et 4,18% ce 9 novembre.

Et c’est pire pour le « 1 an » qui se tend de 80 points, entre 3,99% et 4,79%.

Ce genre de grand écart doublé d’une inversion de courbe des rendements (plus de 50 points d’écart entre le rendement à un et dix ans) annonciatrice d’une récession, devrait achever d’alerter, voire de tétaniser, les acheteurs.

Mais non, les acheteurs gardent la main, de façon étonnamment sereine. Au fond, pourquoi se laisseraient-ils déstabiliser par cette accumulation de crises ?

En effet, l’arbitre suprême, le VIX (qui dicte sa loi aux algos) traduit une décrue inexorable du risque depuis quatre semaines, avec 14 séances de décrue sur 16 dans l’intervalle et même 16 séances sur 19 depuis le 11 octobre.

Les dynamiques de cette nature – comme spontanément auto-entretenues, mais nous savons qu’il n’en est rien – se perpétuent, jusqu’à ce qu’elles cessent, sans véritables signes précurseurs.

C’est ce qui s’est apparemment produit ce mercredi 9 novembre, avec une brutale inversion de polarité qui n’a en réalité aucun lien avec le résultat des élections américaines.

La perspective d’une cohabitation ne stressait pas les investisseurs qui sont habitués à ce schéma classique et récurrent. La confirmation de cette anticipation n’avait suscité aucun remous sur les « futures » mercredi matin.

La correction survient certes à un moment techniquement délicat pour les marchés, comme je le présentais plus haut. Mais c’est en réalité une sorte de « cygne noir » qui a déclenché un sell off : il s’agit de la faillite annoncée de la plateforme d’investissement en crypto-actifs FTX, fondée comme la holding Alameda Research par un certain Sam Bankman-Fried.

Cette dernière structure, immatriculée aux Bahamas, offrait aux clients 8% de rendement sur leurs premiers 10 000 $ investis dans l’écosystème Alameda FTX (5% sur les suivants) pour soutenir un projet ambitieux de développement d’outils « blockchain » et de protocoles de paiement en actifs numériques.

FTX, comme d’autre plateformes, assurait pour sa part la conservation des portefeuilles investis en cryptos pour ses clients qui le désiraient. Elle proposait aussi sa propre cryptomonnaie, le FTT, donnant accès à quelques avantages pour ses détenteurs qui utilisaient la plateforme (frais réduits, etc.).

Des doutes ont commencé à surgir concernant l’existence d’une quantité suffisante de « collatéral » pour les cryptos-actifs placés en conservation chez FTX.

Ces jetons commençant à perdre toute valeur, l’écosystème et la plateforme d’échanges bâtie en parallèle ont commencé à s’effondrer comme un château de cartes. L’ensemble du secteur « crypto » a ainsi vu fondre sa capitalisation de 20% en l’espace de 36 heures, au fil des rumeurs de faillite de FTX et Alameda.

Le principal concurrent de FTX, Binance, avait lui-même investi des centaines de millions dans les FTT, qu’il a revendu massivement de lundi à mercredi… ce qui a contraint Alameda à liquider une partie des 15 Mds$ d’actifs qu’il détenait, dont un bon tiers sous forme de crypto diverses, et notamment du Solana (passé en 24 heures de 38 $ à 12,5 $, mais qui culminait à 250 $ il y a un an jour pour jour, soit une division par 20).

La fortune du fondateur de FTX et Alameda Research, Sam Bankman Fried (SBF), était évaluée à 26 Mds$ il y a un mois, ce qui en faisait l’un des principaux « crypto-milliardaires » avec Elon Musk : elle ne serait plus que de 600 M$.

SBF va devoir faire face à des enquêtes aux Etats-Unis qui vont tenter de déterminer comment l’aventure FTX se termine par un passif estimé de 6 à 8Mds$… ce qui pourrait lui coûter beaucoup plus que les quelques centaines de millions de dollars qu’il lui reste.

Pour l’heure, l’onde de choc de la faillite de FTX – qui cesse toutes ses opérations – peut à juste titre être qualifiée de plus gros accident systémique depuis l’émergence des cryptomonnaies. C’est bien plus important par exemple que la faillite de MTGox au Japon, début mars 2014, avec la disparition mystérieuse de 850 000 Bitcoins qu’il détenait en garantie (à l’époque, le BTC, c’était 90% de l’écosystème crypto contre environ 38% aujourd’hui).

La sphère des crypto-actifs a vu dans la nuit du 9 au 10 novembre sa capitalisation chuter brutalement sous la barre symbolique des 1 000 Mds$, jusque vers 790Mds$ (contre près de 3 000 Mds$ en novembre 2021) et il ne subsiste plus que neuf cryptos (dont trois stablecoins) affichant une capitalisation supérieure ou égale à 10 Mds$, tandis qu’une quarantaine seulement surnage au-delà du milliard de dollars.

Nous cherchons avec frénésie les derniers articles nous expliquant que le Bitcoin (ou l’Ethereum) sera une super-protection contre l’inflation pour les particuliers et mérite bien le surnom « d’or numérique ». Souvenons-nous que le BTC valait un peu plus de 60 000 $ lorsque l’inflation a franchi le cap des 2% dans l’Eurozone et aux Etats-Unis, fin avril 2021. Le voici divisé par 4, et peut-être bientôt par 5 !

A propos d’or, le métal précieux vient de s’extraire de sa tendance baissière en franchissant en force la résistance des 1 660 $ l’once, l’argent pulvérisant dans un même élan les 19 puis 20 $ l’once. D’ailleurs, la pénurie d’argent physique se traduit depuis des mois par des primes de 30 à 40% sur les pièces en argent, démontrant que le cours officiel n’a jamais – de toute l’histoire de ce métal – été aussi artificiel, par le jeu des contrats à terme vendus à découvert.

Mais revenons-en au crypto-krach du 9 novembre : en quoi cela affecte-t-il Wall Street ?

Les cryptos entrainent dans leur chute les « valeurs liées », au premier rang desquels se trouvent Tesla (-7%, signal baissier sous 204 $) puis Ark Innovation (qui pulvérise les plancher des 36 $ puis des 33 $ du 18 mars 2020, à 32,5$), Robinhood Markets (-13%), Block.Inc (-9%), Coinbase (-12%), Nvidia (-6%), etc.

Le Nasdaq a dévissé de 2,5% pour venir menacer directement son plancher des 10 320 du 13 octobre (intervention de la Fed sur le VIX) puis du 3 novembre (les investisseurs nous inventant une Fed plus accommodante, à l’encontre de toute évidence, ce que les marchés obligataires ont bien compris).

Nous n’allons pas tarder à pouvoir déterminer si les cinq semaines de hausse consécutives et les 15% repris en moyenne constituent un nouveau « bear market rally » qui serait un pur copier/coller de celui observé du 6/7 juillet au 14/15 août dernier : même amplitude, même durée, même manipulation, même comportement surréaliste au vu du contexte.

Le crypto-krach qui va considérablement affecter la confiance dans les actifs totalement numériques dérégulés et une éventuelle rechute du CAC 40 vers 5 400 (puis 5 000 ou du S&P 500 vers 3 500 puis 3 000) pourrait consacrer le retour en grâce des métaux précieux… mais n’oublions pas que n’importe quel sell off affectant la globalité des marchés provoquera la liquidation forcée de nombreuses positions sur l’or et l’argent.

Si cela venait à se produire, le mot d’ordre « buy the dips » (acheter les creux) pourrait s’avérer le conseil le plus judicieux de la décennie à venir.